« Le repas reste un moment extrêmement intense de cristallisation de l’imaginaire familial. »
J.J.B. : C’est tout d’abord l’évolution de la demande sociale. D’une certaine manière, nous avons échappé à une forme de nécessité basique. Aujourd’hui, à travers nos comportements, nos habitudes et nos besoins, nous manifestons une attente de sens de plus en plus forte, liée à notre éducation et à l’éveil de notre sensibilité. Les questions de bien commun, de rapport aux autres et à soi-même deviennent de plus en plus sensibles pour l’homme moderne. On voit ainsi comment se cultive à la fois le narcissisme contemporain et le rapport à soi, mais aussi l’écoute de soi et le besoin d’enrichir son intériorité. Pour illustrer ce phénomène, je prends souvent l’exemple du stéréotype de la vie d’un mineur, telle qu’elle a pu être décrite par Zola au XIXe siècle. Quand le mineur descendait à la mine tous les matins pour y passer quatorze heures, il s’interrogeait sans doute peu sur son identité et sur l’identité de la mine et se souciait peu de savoir si le management de la communication interne de la mine répondait à ses attentes. À son retour chez lui, il ne se demandait pas davantage si l’ambiance de son univers domestique allait enrichir sa sensibilité. De nos jours, le primat exprimé à l’unanimité par nos contemporains est la qualité de vie. Et lorsque vous interrogez ces mêmes gens sur ce qu’ils entendent par « qualité de vie », ils répondent que cela consiste à donner du sens à son existence. Évidemment, ces attentes de sens intéressent un sémioticien. Elles s’expriment à travers des signes et des relations concrètes à des objets. Un sémioticien va donc s’intéresser à une foule de signes qui correspondent à ces attentes de sens. Ce seront des signes triviaux, apparemment superficiels, des choix de couleurs, des choses assez banales, mais dont on ne pourra pas dire qu’elles manquent de profondeur.
La sémiotique et les signes font partie de notre vie quotidienne
CADI : En effet, il y a toujours du symbole derrière les choix que l’on fait.
J.J.B. : Toujours, en effet. Une sorte de retour de sens. Selon les périodes de son existence on se polarisera sur un élément, une couleur, par exemple, au moment du choix de la décoration dans un appartement et, à d’autres périodes, cette attention-là s’efface au profit d’autres éléments sémiotiques qui suscitent notre intérêt. Le primat reste cette attente de sens, liée à la volonté de donner du sens à notre existence sous toutes les formes possibles, avec une seule exigence : l’amélioration de la qualité de vie.
CADI : Ce phénomène sert la cause des sémioticiens puisque cela signifie que les gens sont en demande de sémiotique, sans même se le formuler, ni le mettre en mots.
J.J.B. : Bien que Roland Barthes ait dit : « Le propre de notre société est de transformer tout usage en signe de cet usage », nous n’avons pas toujours conscience de donner une valeur signifiante ou sémiotique aux choses. Une audience béotienne sera souvent surprise de comprendre que la sémiotique et les signes font partie de sa vie quotidienne et qu’elle la pratique du matin au soir. Dans l’introduction de l’ouvrage Le signe[1] Umberto Eco analyse le quotidien de M. Sigma qui est au contact de signes du matin au soir et donne donc une valeur de signe à tout ce qu’il voit, tout ce qu’il croise et à tous les éléments avec lesquels il est en interférence.
CADI : Pour décrypter le monde dans lequel il vit…
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