“ Des outils dont le design permet de rendre intelligible quelque chose qui est vivant : la vie du réseau.” entretien avec Hugues Aubin, chargé de mission TIC, Ville de Rennes

Hugues Aubin : Je dois avouer que j’ai repoussé ce moment le plus possible ne souhaitais pas rencontrer physiquement les gens avec lesquels je faisais des projets dans Second Life. Et puis, j’ai été rattrapé par le temps et j’en ai rencontré à peu près soixante. Et ce que je peux dire, c’est que toutes ces interfaces demandent beaucoup d’attention et de temps, c’est leur force et leur faiblesse. Elles sont très envahissantes et chronophages. Les gens sont côte à côte, en temps réel, ils n’ont pas le confort de l’asynchrone procuré par les statuts Facebook. Alors, ils doivent passer du temps ensemble. À mon avis, les liens qui se tissent sont de l’ordre de ceux se tissent entre personnes qui ont conversé ensemble pendant un moment, c’est réel. Pour qu’une relation numérique puisse exister, il faut une fonction chat vidéo / chat ou voix en temps réel pour recréer les conditions du réel. Ces interfaces permettent d’échanger avec des interlocuteurs lointains et de se créer des rituels horaires. Ceci dit, je constate que sur Twitter on communique quasiment dans un flux en temps réel. Le matin, au petit-déjeuner, on dit « bonjour » et « au revoir » aux mêmes, parfois des nouveaux arrivent… Donc grâce à  ces liens du quotidien qui se créent, on n’a pas du tout l’impression de dialoguer avec des étrangers, même si on ne connaît pas leur apparence physique. Et c’est vrai sur tous les réseaux sur lesquels il y a des fonctions qui permettent d’établir des liens sur une certaine durée ou à travers un certain projet. Second Life est un peu différent : les utilisateurs ont véritablement un avatar 3D qui pousse ses interlocuteurs à chercher la ressemblance physique, le signe distinctif, sans forcément la trouver. Sur Twitter, c’est la même chose. On établit véritablement des liens forts dans un continuum relationnel hybridé physique ou numérique et ces liens sont aujourd’hui extrêmement efficaces. L’aller-retour entre physique et numérique renforce énormément les liens tout en conjuguant les avantages des deux. Je pense que ce phénomène s’observe aussi sur les plateformes-2D, asynchrones ou  temps réel, permettant de partager un moment commun. Quand on partage un moment, même avec un chat vidéo, à distance, il y a plus d’émotion, plus de traces mémorielles, et l’envie de revivre ensemble, de refaire ensemble est accrue. Ainsi, l’évolution vers le lifestream,, crée une émotion partagée à un moment sur le même objet d’attention… Il serait très intéressant de mettre ces technologies en œuvre lors d’événements culturels pour faire partager un continuum d’expérience et d’émotions entre les publics physiquement présents et les publics distants. Oui, il y a une vraie force du rapport qui est tissé, qui est encore renforcé par un aller-retour entre monde phyique et numériques. Les plateformes tridimensionnelles ont d’autres atouts mais ces liens peuvent être tissés avec un téléphone mobile et 140 caractères.

Le paradoxe du User Generated Content

Grégoire Cliquet : Continuons sur votre perception du user generated content, ce fameux engouement pour le web 2.0. D’après vous, sommes-nous à l’ère de l’exhibition numérique ? Ne se sent-on pas obligé de produire de plus en plus de contenu, de laisser de plus en plus de traces ? Est-ce qu’il n’y a pas une ambiguïté entre un système qui est capable de tracer et la volonté des utilisateurs d’en laisser un maximum. Vous qui avez vu le Web se transformer peu à peu, comment percevez-vous cette évolution ? Pensez-vous qu’une certaine forme d’abolition des frontières entre sphère privée, sphère publique est en train de s’opérer ?

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