“ Des outils dont le design permet de rendre intelligible quelque chose qui est vivant : la vie du réseau.” entretien avec Hugues Aubin, chargé de mission TIC, Ville de Rennes
Hugues Aubin : Oui, il y a une sorte de paradoxe entre liberté de contribuer et tracking des données personnelles. . Un phénomène vraiment intéressant est en train de se produire. Ces deux mouvements doivent être posés comme éléments de débats. Cependant, aujourd’hui environ un usager sur cinq est contributeur, mais pas plus (je ne parle pas du pourcentage de créateurs). Les règles du web 2.0, en termes d’échelle, sont plutôt tournées vers l’ouverture. Les outils d’expression et de partage sont désormais massivement utilisés. Aujourd’hui, il y a très peu d’objets numériques, multimédias qui peuvent exister et être relayés sans qu’on les socialise (comme on dit, à l’anglo-saxonne). Donc au-delà du message, il y a une fonction de mise en relation des personnes intéressées par cet objet. C’est un phénomène massif extrêmement important qui bouleverse les règles de légitimité, les passages de messages. Les utilisateurs sont contents de pouvoir poser leur pierre à l’édifice, si petite soit-elle, et même ceux qui n’ont pas l’intention de réagir à tel ou tel post se réjouissent de la présence d’un bouton « commenter ». D’ailleurs, ils écriront peut-être au rédacteur du blog ou du site s’ils constatent l’absence de cette fonction. On assiste à une généralisation des outils d’expression qui deviennent suffisamment simples pour être utilisés par un grand nombre de personnes. Il apparaît clairement que les leaders sont ceux qui utilisent énormément les mécanismes de crowdsourcing et de recommandation : Amazon, Google… En parallèle, il y a en effet une explosion des réseaux sociaux. Les objets-médias non socialisés (autrefois regroupés dans des « greniers » où ils échappaient à la socialisation, comme les bonnes vieilles encyclopédies figées dont les contributeurs demeuraient inconnus et dont le contenu ne pouvait ni être commenté ni être relayé sur un blog ou autre) sont désormais dépassés, la dimension d’objet-média est passée par cette socialisation. Cette tendance n’est peut-être que temporaire et un storytelling plus qualitatif pourrait émerger du fait de la saturation de la masse des objets-médias. Ces objets-médias socialisés ont quand même une vertu exceptionnelle, puisqu’ils sont couplés avec des espaces personnels. Sur un blog ou sur une plateforme de type FlickR axée sur des contenus permettant à des membres de se socialiser, l’utilisateur crée un espace personnel où il insère des contenus, qui deviennent alors socialisés. Ce mouvement est important en ce qu’il vient compléter les mécaniques d’ouverture, de commentaires, de mises en lien, de création de groupes, de forums de discussion, d’embarquement qui existaient sur les plateformes anciennes. Les réseaux sociaux offrent un espace d’échange où l’on peut avoir un statut d’exposition et réagir à celui des autres. Se créent donc des apparences de places publiques, qui n’en sont pas vraiment , étant hébergées par de grosses plateformes privées basées sur un échange classique : données contre-puissance de l’outil. L’intérêt de ce genre de plateformes, c’est que plus il y a d’items plus les utilisateurs ont des chances de trouver les objets socialisés des autres et, d’un clic, se lier d’amitié avec les personnes dont les items les intéressent. Les recommandations des uns à propos des autres contribuent à une croissance de la valeur ajoutée et une densification de la plateforme. Ce qui est révolutionnaire, c’est que, dans un pays comme la France où la scission vie privée / vie publique était très marquée, (le tabou sur l’argent en offre un bon exemple), l’utilisation d’un réseau social soit devenu une seconde nature (je pense notamment aux usagers de MSN ou aux usagers trentenaires de Facebook) : en effet je me raconte par défaut, et il faut vraiment maîtriser les paramètres techniques pour se recréer un semblant de vie privée. Par ailleurs, au niveau technique, ces réseaux fonctionnent sur de l’instantané avec une semi-automatisation (depuis son téléphone, on peut poster un commentaire sur son mur, etc.). On se dirige donc vers l’automatisation de séries de traces, c’est-à-dire du « cross-posting » automatique et semi-automatique issu de différentes sources, de la domotique, des voitures, des téléphones… Il en résultera automatiquement une agrégation d’un web granulaire avec une multitude de petits éléments reliés entre eux et dans lesquels ces gestionnaires de plateforme jouent un rôle extrêmement important. La dynamique de ces réseaux sociaux est cruciale pour l’agrégation de ces éléments (médias, texte, son, image, vidéo) rendue possible grâce notamment aux plateformes de sharing qui jouent un rôle aussi important (FlickR, Youtube, etc.). Cette agrégation fonctionne parce qu’il existe un rapport contribution/satisfaction (pour l’usager) dans ce continuum relationnel physico-numérique. Prenons l’exemple de grands-parents qui voudraient parler à leur petit-fils. Si celui-ci ne répond pas au téléphone, ils peuvent tout de même savoir ce qu’il a fait dans la journée…
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