“ Des outils dont le design permet de rendre intelligible quelque chose qui est vivant : la vie du réseau.” entretien avec Hugues Aubin, chargé de mission TIC, Ville de Rennes

Hugues Aubin : Dans le cadre du concours Open Data, selon la définition de données publiques communicables par la loi, aucune donnée nominale ne peut être communiquée. Voilà qui est extrêmement clair ! Il faut ensuite se poser la question suivante : vous vous demandez si le développement de services hyper-locaux dans un continuum relationnel où les utilisateurs sont équipés de mobiles, de profils, en optimisant ce service en fonction de leur géo-localisation et de l’heure, ne pourrait pas être considéré comme une captation du lifestream. En effet, de tels regroupements de profils utilisateurs représentent un gros potentiel de tracking de données. Rennes est très atypique en la matière. L’association BUG y développe trois projets extrêmement originaux dans leur approche : un réseau social géo-localisé qui va très bientôt être porté sur mobile et qui s’appelle « la ruche », un « wikiterritoire », et enfin un système original de e-portfolio en ligne  : un ensemble de pages hébergeant des profils, et sur lesquelles les savoirs sont indexés grâce à des nuages de tags et une infovisualisation graphique à la volée. Le point commun entre ces 3 projets, c’est qu’on peut s’y inscrire sans donner son vrai nom, sans avoir à montrer sa boîte mail, tout utilisateur de cette plateforme a la garantie que son identité ne sera jamais revendue à un tiers. Un identifiant inter-opérable entre les trois applications permet de projeter des agendas en réalité augmentée, du wiki géolocalisé. C’est une plateforme à vocation citoyenne pour créer du lien social ancré physiquement autour de rencontres appelées les « apéruches », où des débats ont été engagés sur la maîtrise de l’identité numérique et les équivalents des « wiki-comptoirs » brestois . Nous soutenons fortement cette approche parce qu’elle correspond à un modèle qui permet aux utilisateurs d’avoir des fonctionnalités de réseaux sociaux en dé-corrélation totale avec leur nom d’état civil tout en gardant la possibilité de publier leur CV à l’attention d’un employeur, d’être contacté, de rencontrer des gens autour de chez eux, etc. Cette initiative nous tient à cœur parce que nous sommes convaincus qu’il y a un enjeu sur les garanties à apporter sur les données personnelles et que ces garanties ne sont pas forcément incompatibles avec des fonctionnalités de lifestream. Par contre, il faudra impérativement que d’autres plateformes se créent pour contrebalancer les principaux leaders, surtout pour un service municipal. Sinon, des conflits surviendront inévitablement à propos de l’identité numérique. Compte tenu de la taille critique des réseaux du type Facebook, des problèmes vont se poser, et l’on rencontrera à un moment des phénomènes de migration (groupe de personnes qui par le biais même d’un réseau social décident de migrer vers une autre plateforme).

Grégoire Cliquet : Oui. C’est ce qu’on constatera peut-être avec Diaspora ?

Hugues Aubin : Je ne sais pas, mais j’ai déjà vu des milliers d’avatars migrer en moins de deux semaines sur d’autres plateformes. Les utilisateurs en question n’ont pas migré leurs objets 3D mais ils ont migré leur communauté. Nous souhaitons voir émerger une alternative citoyenne qui permette de bénéficier d’une partie des fonctionnalités des réseaux leaders, sans pour autant s’aligner sur leurs pratiques, parce qu’on ne dispose pas d’équipes aussi importantes que celles de Facebook ou Google, et qui assure cette espèce de « tiers lieu numérique ». Tiers lieu où les utilisateurs peuvent être certains qu’on ne les traque pas à des fins commerciales et où ils peuvent choisir leur niveau d’extimité. Cette question est hautement stratégique car aujourd’hui, la raison première du refus d’utiliser les outils des réseaux sociaux c’est l’inquiétude : les internautes ont peur de laisser des traces et de perdre le contrôle de leur identité numérique ; certains sont même effrayés des usages qu’en ont leurs neveux, nièces, petits-enfants, etc. C’est un vrai frein à l’entrée alors même qu’on sait que ces outils ont un potentiel considérable pour relier les gens, au niveau hyperlocal.

Pour l’instant, le projet d’Édouard Durand couvre un champ sur lequel les clients sont essentiellement des marques. Mais ce service comporte une forte valeur ajoutée dont pourraient bénéficier les particuliers et il s’inscrit complètement dans cette problématique de maîtrise de l’extimité, à la fois dans le diagnostic et dans la proposition d’action. Ainsi, il participe à la prise de conscience et au traitement du problème. Je suis donc convaincu qu’Identiscoop est un projet vraiment utile et susceptible d’intéresser de nombreux acteurs du territoire. À ce propos, la délégation aux usages de l’Internet a sorti en 2010 un serious game dédié à la maîtrise de l’extimité. Le projet d’Édouard Durand est donc très clairement lancé au bon moment, il est au cœur de l’actualité.

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