« Sans réflexion sur le design, on ne peut faire adopter un outil technique. »

D’autre part, un environnement musical se compose de nombreux éléments (matière sonore, traitements, outils pour manipuler les éléments sonores et musicaux, dispositifs de contrôle des paramètres, etc.). Mais dans cette prolifération instrumentale, l’enjeu cognitif et gestuel fondamental reste la façon dont le rapport entre le concret et l’abstrait, entre le son et la musique, entre l’instrumentation et les structures est appréhendé et maîtrisé par le compositeur. Pour l’instant, les séquenceurs classiques gèrent très mal ce passage de l’abstrait au concret. On superpose souvent trop simplement les outils qui créent le son et ceux qui organisent les notes, sans penser plus profondément le rapport entre les deux. À ce propos, Aurélien a proposé un ou deux paradigmes de représentation pour faire interagir des grandeurs abstraites, contrôler des effets. Il a mis au point une brique intéressante répondant à l’une des grandes problématiques de l’informatique musicale : ce rapport entre abstrait et concret que pose la question de l’interaction entre les dimensions musicales et sonores.

CADI : Le projet d’Aurélien vous paraît donc viable ?

T.B. : D’autant plus viable qu’Aurélien n’a pas de formation musicale. Ainsi, s’il travaillait en collaboration avec des techniciens spécialistes en signal et des usagers compositeurs, il pourrait parvenir à concevoir un objet utilisable et bien supérieur à beaucoup d’autres. Votre étudiant détient un solide concept. Il est somme toute assez rare de trouver un profil comme le sien, alliant technique et sensibilité artistique. Dans le champ du développement informatique d’outils musicaux, de telles compétences graphiques et un tel « bon sens » visuel ne sont pas monnaie courante.

Verrouillage industriel, inertie, logiciels libres ? Quels scénarios pour demain ?

CADI : De tout temps, la musique s’est appuyée sur les évolutions techniques et technologiques. Au cours des dernières décennies, les nouvelles technologies numériques ont bouleversé le rapport à la musique (écoute et composition) et les modes d’interaction avec la musique. En tant qu’ingénieur, quelle évolution de la musique, des outils et environnements / interfaces musicaux prévoyez-vous ?

T.B. : Faisons un peu de futurologie. Plusieurs scénarios sont possibles. Le premier serait celui du verrouillage industriel, dans lequel les environnements propriétaires écraseraient tout le reste. Ce serait la continuité de ce qui se produit à l’heure actuelle. À part à un niveau amateur, il n’y a pas vraiment d’usage en dehors des gros outils utilisés dans les gros studios. Cette situation est déplorable, à mon avis, parce que ces entreprises ont des impératifs fonctionnels (liés aux contraintes des studios) qui les empêchent d’être plus inventives au niveau de la conception et du design. C’est donc un « scénario catastrophe » : l’inertie. Le vrai enjeu dans ce secteur d’activité consiste à comprendre et négocier la transition entre l’analogique et le numérique. Les studios sont équipés en matériel analogique, ce qui fait que le matériel numérique n’y a pas forcément sa place au sein du processus de composition même. In fine, l’utilisateur reste devant sa table de mixage à manipuler ses synthétiseurs hardware. C’est plus rapide, cela permet de travailler à plusieurs dans la même pièce. La création et le mixage de la musique en studio ne va pas évoluer de manière radicale dans un futur proche car les techniques analogiques s’y sont stabilisées, et elles ont imposé leurs concepts à beaucoup d’outils numériques. Le numérique s’immisce toujours davantage dans les studio, ajoute des éléments au métier, reconfigure les méthodes, mais ne change pas de manière radicale les paradigmes de représentation des objets musicaux.

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