« Sans réflexion sur le design, on ne peut faire adopter un outil technique. »

Au-delà du monde pro, je m’intéresse particulièrement aux pratiques amateurs. Mes recherches portent sur l’utilisateur à la maison en interaction avec son home-studio et ses diverses possibilités, aussi bien en composition / écriture qu’en lecture / écoute. Dans ce domaine, les choses vont évoluer. Le secteur amateur, qui n’est pas verrouillé par une lourde tradition et la domination de certains acteurs (Pro Tools, par exemple), devrait subir d’importantes évolutions. De plus, le matériel étant toujours trop cher, des régimes économiques de type logiciel libre se mettent en place, facilitant la diffusion de nombreux d’outils absolument révolutionnaires. Contrairement au monde du studio, ce secteur n’est pas encore stabilisé car nous n’en sommes qu’au stade de préhistoire de l’informatique musicale orientée « utilisateurs amateurs » (au sens de « qui aime », et non d’« incompétent ». Les choses sont en pleine mutation. Il faut miser sur le libre, acteur toujours plus important dans le domaine de l’informatique musicale, car c’est un système très dynamique qui permet une bien meilleure collaboration et une plus grande flexibilité que le monde du logiciel propriétaire.. Deuxièmement, il convient de se demander comment, dans cette économie complètement éclatée, recréer des structures de travail interdisciplinaires. Le vrai enjeu théorique se situe dans la collaboration de personnes issues d’horizons intellectuels différents. Il faudrait donner un cadre à ce type d’échanges pour promouvoir la collaboration de designers avec des sociologues, des musiciens, des techniciens. Je crois que ce genre d’interactions est vraiment la clé d’une innovation motivante.

Quel rôle le design pourrait-il jouer dans les scénarios d’avenir que vous venez d’évoquer ?

Je crois que le design est le maillon fondateur, l’articulation entre la technique et l’usage. C’est ce qui permet de créer des phénomènes d’adoption des outils techniques. En effet, sans réflexion sur le design, l’adoption de l’outil technique est problématique. Une question me taraude : comment faire intervenir cette dimension de recherche qu’est le design dans une économie décentralisée, éclatée où les rôles sont un peu flous. Je pense que les projets les plus inventifs sont menés dans le domaine du logiciel libre, mais au moment même où on les voit comme les plus inventifs, on se pose des questions sur les structures qui permettent de les construire et de les soutenir. On se demande comment des designers pourraient venir s’y greffer. Il faut rappeler que c’est un secteur d’activité où il n’y a pas beaucoup d’argent…

Pour moi, le principal enjeu d’avenir pour faire évoluer les outils techniques du domaine artistique sera la création de micro structures collaboratives interdisciplinaires. Celles-ci pourront réunir des designers avec des ingénieurs et des créateurs. En informatique musicale, par exemple, il faudra impérativement travailler avec des compositeurs qui, en tant qu’utilisateurs premiers, nous renseigneront à propos des besoins, et surtout, en susciteront d’autres. Car il ne s’agit pas seulement de rendre compte d’un besoin, il faut également innover. L’innovation est un facteur très complexe, difficile à définir, qui se situe à la croisée du travail des praticiens, des techniciens et du design ; c’est un phénomène protéiforme aux confins de toutes ces démarches.

Il semblerait en effet que les musiciens utilisant les outils de composition musicale assistée par ordinateur se contentent de leur sort. Le designer, dont le rôle est parfois de faire prendre conscience à l’utilisateur de son inconfort, pourrait amener les adeptes de ce genre de logiciels à devenir plus exigeants.

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