« Sans réflexion sur le design, on ne peut faire adopter un outil technique. »

T.B. : L’informatique musicale regroupe plusieurs choses. Plaçons-nous du point de vue de la composition musicale assistée par ordinateur (CAO), puisque c’est de cela que traite le projet d’Aurélien Pasquier. Celle-ci remonte aux années cinquante, quand des chercheurs de grandes universités américaines ont commencé à analyser des œuvres musicales existantes de façon automatique. De ces travaux sont nés les outils de composition servant à générer de la musique. Ceux-ci peuvent être abordés selon deux approches : une approche musicale et une approche sonore. L’approche musicale consiste à utiliser l’ordinateur pour générer des structures musicales (notes, mélodies, variations, thèmes etc.), et est donc plutôt orientée vers l’écriture. L’approche sonore a quant-à-elle davantage trait à la synthèse sonore et à la création de nouveaux sons, afin de découvrir de nouveaux paysages sonores. Un point fondamental pour comprendre l’informatique musicale, et la musique en général, est la tension entre ces deux dimensions, entre le discours musical incarné par les notes d’une part, et les corps sonores dans lesquels il s’incarne d’autre part(sa dimension acoustique). Pour le dire simplement, il s’agit de la tension entre l’ « abstrait » et le « concret ». L’informatique musicale n’a fait que renforcer la nécessité de prendre conscience de cette binarité structurante en musique. Des recherches se mènent donc en parallèle depuis environ soixante ans dans ces deux grands domaines. D’une part, il y a les synthétiseurs, qui ont évolué jusqu’à s’ « inviter » à l’intérieur des ordinateurs (il existe des synthétiseurs logiciels aussi puissants que les synthétiseurs matériels), c’est la partie sonore. D’autre part, les outils d’écriture aident à formaliser les idées musicales, une sorte de partition augmentée qui permet d’écrire la musique, non pas seulement de générer des sons, mais d’écrire des mélodies, des thèmes, d’élaborer et de manipuler des structures, etc. C’est dans cette catégorie que se rangerait l’outil d’assistance à l’écriture musicale développé par Aurélien.

Certains outils allient ces deux grandes fonctions. Reason, que vous évoquez, offre un très vaste spectre de fonctionnalités, aussi bien en termes de synthèse que de manipulation de structures musicales simples, ce qui permet d’assumer de A à Z l’écriture d’une œuvre. Toutefois, son positionnement très grand public, et le marketing ciblé « musique électronique simpliste », font que cet outil est finalement très peu innovant, et n’exploite pas suffisamment les potentialités des environnements numériques.

CADI : Dans son mémoire, Aurélien évoque le paradoxe réel / virtuel de ces outils qui sont virtuels mais tentent de recréer les modes d’interaction du réel, bridant ainsi leurs possibilités.

T.B. : La question de la métaphore du monde réel est une de mes thématiques principales aussi bien en recherche qu’en pédagogie. Les possibilités de l’ordinateur sont énormes, mais celles-ci ne sont pas immédiatement compréhensibles ni perceptibles par l’utilisateur. On s’efforce donc de plonger l’utilisateur dans une interface montrant des objets qui lui seraient familiers. Ceci explique pourquoi les logiciels informatiques, si compliqués soient-ils, sont souvent basés sur une imitation d’outils réels (table de mixage, câbles, boutons et potentiomètres de synthétiseurs, etc.). Le problème est que d’un point de vue fonctionnel l’outil « virtuel » numérique est bien plus performant et offre davantage de possibilités que l’outil « réel ». Or comme on ne possède pas encore les catégories représentationnelles, esthétiques, physiques pour appréhender ces fonctions, on utilise les représentations familières. Effectivement c’est une démarche réductrice qui empêche de percevoir et comprendre la nature de la puissance que peut apporter l’ordinateur.

CADI : Quels sont les grands axes de recherche et enjeux dans les domaines de l’informatique musicale appliquée à la création et de la CMAO ?

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