« Sans réflexion sur le design, on ne peut faire adopter un outil technique. »
T.B. : Ce qui est certain : ce n’est certainement pas une interface qui pense à votre place ou qui effectue des tâches toute seule. Concevoir ce type d’interfaces serait une grave erreur. Il ne faut jamais déposséder l’être humain de son intelligence. Au contraire, il faut l’aider à penser. Il faut lui fournir des représentations, des objets, des procédures qui sont des béquilles à son imagination, pour citer Boulez. Les dispositifs de composition et d’écriture musicale doivent devenir une prolongation de son corps au même titre qu’un instrument de musique. Pour cela, il ne s’agit pas de créer des outils qui prennent le relais sur la pensée de l’utilisateur mais, au contraire, la secondent en s’intégrant dans son flux gestuel et cognitif.
CADI : C’est à ce stade de la conception des outils que le designer devrait intervenir ?
T.B. : Ce serait en effet formidable. Pour l’instant, l’innovation fonctionnelle, c’est-à-dire celle qui provoque de nouvelles façons de faire et de penser la création musicale, s’effectue davantage au sein des laboratoires de recherche et des petites entreprises qui innovent. Les petites structures qui explorent des idées nouvelles et osent proposer des modes de représentation inventifs n’ont sans doute pas les moyens de conduire un travail de design conséquent pour valider leurs propositions et développer les usages qu’elles mériteraient. Au contraire, les groupes industriels qui disposent de moyens plus importants, ne semblent pas ressentir la nécessité de ce travail de design et n’innovent quasiment pas, nous proposant depuis des années les mêmes interfaces (pistes, tables de mixages virtuels, etc.).
Sus à la métaphore du monde réel en informatique musicale
CADI : Il est vrai que si les technologies informatiques évoluent, les interfaces, elles, restent similaires et ne s’améliorent pas beaucoup. En quoi le projet d’Aurélien Pasquier, MUE (environnement musical évolutif), visant à favoriser l’expérience sonore et visuelle des interfaces de CMAO et à créer un lien entre l’outil informatique et l’inconscient de l’individu mélomane, vous a-t-il intéressé ?
T.B. : Initialement, c’est le postulat de base de ce projet qui a suscité mon intérêt car il constitue une très bonne analyse de la situation. Oui, il y a un réel problème de représentation dans les outils informatiques : la métaphore du monde réel, trop restrictive, ne fonctionne pas. Il faut avoir recours à l’expérimentation pour remédier à cette situation. Ensuite, j’ai pu découvrir ce qu’Aurélien avait concrètement réalisé et il y a beaucoup de propositions d’interfaces (notamment en ce qui concerne la façon dont différents modules peuvent interagir au sein d’un environnement cohérent) qui s’avèrent très pertinentes et mériteraient une véritable réalisation industrielle. Certaines idées de représentations et principes d’interaction avancés par Aurélien Pasquier dénotent d’une démarche réellement innovante conduite par un designer en avance sur son temps. Par exemple, sa formation davantage graphique le rend plus sensible à certaines problématiques liées à l’exploitation de l’espace bidimensionnel sur l’écran pour représenter des objets musicaux. Souvent les outils d’écriture musicale sont très contraints dans la façon dont les objets se donnent à voir à l’écran. Aurélien a développé quelques paradigmes de représentation qui exploitent la bi-dimensionnalité de l’espace de manière pertinente, susceptibles de fournir à l’utilisateur une nouvelle représentation et, de fait, une nouvelle idée de l’œuvre qu’il est en train d’écrire. Une représentation n’est jamais neutre, elle nous engage toujours dans ce que l’on fait.
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