Sciences fiction et design : Jules Verne vs Léonard de Vinci

Observons, par exemple, la série de dessins du bassin des carpes de sa demeure du Clos Lucé. Le premier dessin montre un bassin entouré de sa bordure en pierre, de petites fleurs, de l’eau agitée par le mouvement des poissons et de la fontaine, et les poissons… Sur les dessins suivants disparaissent successivement les fleurs, la bordure de pierre, la fontaine, les carpes. Il ne subsiste  au final que les mouvements de l’eau. Ils sont pourtant complexes, répartis en différentes couches : mouvement de l’eau engendré par la chute de l’eau de la fontaine dans le bassin, mouvements générés par les carpes, mouvements générés par les interactions. Peu après, il rédigeait les prémices de lois de l’hydraulique puis inventait de nouveaux modes de propulsions aujourd’hui réinventés par les laboratoires de bionique de la marine étasunienne[ll3] … La littérature seule aurait-elle permis l’éclosion de ces théories très avancées pour l’époque ?

Léonard avait aussi conceptualisé son mode opératoire : les « Sept principes léonardiens » (Michael J. Gelb, Pensez comme Léonard de Vinci, Les Éditions de L’Homme).

On voit comment le peintre, le poète, le contemplatif, le scientifique, s’associent pour générer un mode opératoire plutôt efficace, qui laisse la place à l’humain, ses émotions et ses imperfections.

Ses contemporains déploraient son abandon de la science au profit de la peinture, mais « il est fort probable que sans cette approche « artistique », la science de Léonard n’aurait pas été produite » (Ibid.).

Comparaison ces deux « designers de SF »

S’il n’est sans doute que peu opportun d’opposer la capacité créatrice du dessin au récit d’une manière plus générale, on peut tout de même constater que Léonard nous propose des « formes » totalement nouvelles pour son époque, en « rupture » (pour employer un mot en vogue), quand Jules nous propose des « formes »directement extrapolées de son environnement.

Comparons deux sous-marins

Jules Verne et Léonard de Vinci ont tous deux ont inventé un sous-marin, il peut être intéressant de comparer l’attitude de leurs créateurs face aux nouveaux pouvoirs de cet objet.

Le capitaine Nemo est créé par Jules Verne dans le roman Vingt mille lieues sous les mers. Il en est le personnage principal en tant que commandant du sous-marin Nautilus. Laissons Jules Verne s’exprimer par l’intermédiaire de son personnage le plus intéressant…

Personnage savant, ingénieur de génie, le capitaine Nemo est un homme sombre et mystérieux qui cache sa véritable identité derrière une allusion à l’épisode d’Ulysse et Polyphème dans l’Odyssée. Hanté par un passé traumatique, il a renoncé à la société des hommes et écume les mers dans un esprit de recherche scientifique et technique (les multiples explorations auxquelles se livre le Nautilus), de justice (son aide aux révolutionnaires grecs) et de vengeance (son implacable extermination des navires battant « un pavillon anglais », mais non écrits [FD5] dans Vingt-mille lieues sous les mers). Ce sous-marin aurait été un chef d’œuvre de technologie, seulement il n’était pas entièrement dévolu aux forces du bien… La vengeance et la destruction sont donc permises, depuis les abysses, grâce à la technologie.

Léonard de Vinci pense que l’homme doit s’engager activement à combattre le mal et faire le bien car « celui qui néglige de punir le mal aide à sa réalisation« . Il indique également qu’il ne se fait aucune illusion quant à la nature de l’homme et la façon dont il pourrait s’emparer de ses inventions, comme il le fait en préambule à une présentation du sous-marin :

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