Accompagner l’anorexie de l’adolescent grâce au design : entretien avec Guylaine Sauvaget-Lasserre, Psychologue clinicienne
Guylaine Sauvaget-Lasserre : Dans l’exemple auquel je me référais à propos de l’activité d’Aurore, l’objet, c’est la production dans l’atelier. Dans mes propres ateliers d’expression, la forme ou l’esthétique de la production de l’adolescent importent peu car cette production n’est qu’un support à la relation. Pour décrire mes activités de médiation, j’emploie souvent la formule : « donner forme à de l’informe ». Dans le premier temps de mes ateliers, je ne propose pas de forme, alors qu’Aurore proposait cette boite, mais je présente les différents médiateurs déjà cités. Comment une forme va-t-elle surgir de cet informe ? Je m’appuie alors sur les concepts de la gestalt qui est une théorie de la forme. La gestalt peut donc être un terrain de réflexion commune entre la psychologie et le design.
Jean-Patrick Péché : Ces adolescents qui ont un rapport particulier à l’aliment sont-ils dans l’exacerbation des perceptions ? Est-ce une altération des sens ? Est-ce qu’ils ne perçoivent pas les choses de manière plus sensible que le commun des mortels ? Ou au contraire, donnent-ils d’autres significations à leurs perceptions ?
Guylaine Sauvaget-Lasserre : La question des perceptions et représentations est un problème complexe. Pour envisager celles qui se forment tôt dans le développement, telles que celles du plaisir de la nourriture chez le nourrisson, il convient de remonter à la naissance du psychisme. Je n’ai pas assez travaillé avec des adolescentes anorexiques pour savoir si leurs perceptions des aliments sont exacerbées. L’anorexie est avant tout une pathologie de l’image du corps, comme je le disais tout à l’heure, et ne porte pas simplement sur le rapport à l’aliment. C’est une atteinte au niveau de l’image inconsciente du corps, un symptôme qui a du sens par rapport à une pathologie que je vous définissais tout à l’heure comme une « pathologie du contenant ». Bien sûr, les personnes anorexiques ont des perceptions altérées puisque leur perception du corps est complètement erronée : elles se trouvent grosses alors qu’objectivement elles ne le sont pas, car l’image idéale vers laquelle tend l’anorexique est une image qui met à distance les indices de sa féminité. Par ailleurs, tout ce qui est de l’ordre du déplaisir, du dégoût est en effet exacerbé, mais à l’adolescence tout est exacerbé. Alors la question doit être résolue au cas par cas : les troubles présentés par cette jeune sont-ils partie intégrante du processus d’adolescence ou bien, au contraire déclenchés par sa pathologie ?
Le design peut « réintroduire du sensoriel dans l’expérience alimentaire »
Jean-Patrick Péché : J’imagine que cette question donne lieu à beaucoup de travaux de recherche. Cette pathologie profonde empêche les sujets d’aller vers une jouissance. Selon Brillat-Savarin : « Le goût est le sens qui nous procure le plus de jouissance ». Faut-il comprendre que leur refus de se nourrir équivaut à un refus d’atteindre la jouissance ?
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