De l’importance du jeu vidéo en sciences humaines et sociales – Entretien avec Sébastien Genvo, expert en « game design »

Sébastien Genvo : Au fur et à mesure de nos échanges, je lui avais bien expliqué la nécessité de placer l’interface au cœur du jeu, afin qu’elle serve les objectifs du joueur et participe à son plaisir sans forcement faire du mimétisme avec la réalité. Et il en a bien tenu compte. Si une interface peut être remplacée par une souris ou un clavier, cela signifie qu’elle n’est pas indispensable. Vous ne pouvez pas, par exemple, jouer à Dance Dance Revolution sans le tapis interactif ; le jeu perdrait tout intérêt. Vous pouvez jouer à Doom avec un clavier et une souris, le jeu sera même plus plaisant qu’avec un pistolet. Ce qu’il faut se demander c’est : « Quelle est l’identité de l’interface tangible au sein du projet et qu’est-ce qui fait que c’est un mécanisme de jeu? ». Je pense que David Arenou a bien compris cela. Il a bien saisi que l’intérêt de son jeu repose sur les déplacements du joueur, sur l’interaction entre ce dernier et certains objets transposés non pas comme des objets du quotidien mais comme des jouets.

Il réfléchissait beaucoup à la question d’immersion dans le jeu, je lui ai dit que si c’était juste pour faire une démonstration technologique, ça risquait de poser problème. Il faut vraiment penser l’interface tangible comme un élément indispensable du système.

Par ailleurs, ça m’a fait plaisir de voir que la théorie réussissait à rencontrer la pratique et les problématiques de conception. Car après tout, l’article que j’avais écrit sur les interfaces tangibles était un exercice de recherche fondamentale visant à dégager un point de vue rétrospectif sur l’histoire du jeu vidéo axé sur les raisons du succès ou de l’insuccès de certaines interfaces. Mais je ne l’avais pas pensé dans une optique de conception. Je tiens à ce que mes recherches aillent au-delà d’impératifs immédiats de conception parce que cela me permet d’aborder des questions socio-culturelles et de poser des questions à long terme pour en mesurer l’ampleur. Je suis heureux de voir que la recherche fondamentale trouve un écho dans le projet de David. D’autant que celui-ci est réussi et a été primé à plusieurs reprises.

Thierry Lehmann : Ce projet n’est pas centré sur une prouesse technologique, mais sur l’usage.

Sébastien Genvo : Exactement, ce n’est pas par la prouesse technologique qu’il va falloir démontrer la pertinence du jeu, comme le font actuellement Sony et Microsoft en annonçant qu’ils ont tant de capteurs de plus que la Wii, qu’on peut se déplacer en 3 dimensions… mais en terme de jouabilité ; ce sont des arguments promotionnels pertinents mais des logiques d’obsolescence.

Le design apporte un cadre critique au-delà du développement

Thierry Lehmann : Au-delà de l’esthétique, que peut apporter la discipline du design dans le jeu vidéo ?

Sébastien Genvo : Aux débuts du jeu vidéo, on ne parlait pas de game design, (design appliqué au jeu vidéo) : la plupart du temps, les programmeurs créaient les jeux, sans avoir le droit de les signer. Ils n’étaient pas reconnus comme des créatifs.

On a d’abord identifié la valeur ajoutée esthétique du design mais il a fallu du temps pour que la discipline soit reconnue comme une activité à fin d’usage. Cela a donné lieu à des batailles. Dans l’un des premiers ouvrages qui est sorti sur le game design, paru dans les années 1980, Chris Crawford disait « Nous n’avons pas besoin de programmeurs qui savent faire de belles exemplifications ni de technologistes, mais de créatifs qui se posent la question de ce qu’est un jeu : « Qu’est-ce qui fait qu’il est bon ? Qu’est ce qui fait son succès ? ». Et Chris Crawford disait encore « pour répondre à ces questions, il faut que nous ayons un cadre de pensée, un cadre théorique, un cadre critique qui aille au delà du développement ». Je crois que c’est ce que le design a apporté au jeu. Cela dit, je ne dénigre pas l’aspect technologique parce que les deux vont de pair dans la conception. Le design peut apporter une réflexion sur le medium et sur la place des usages dans le jeu vidéo, car il ne faut pas oublier que l’utilisateur est au centre de tout finalement.

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