« Sans réflexion sur le design, on ne peut faire adopter un outil technique. »
T.B. : Ce milieu est assez ramifié, et extrêmement pluridisciplinaire. Il y a donc probablement des centaines de réponses à votre question. Du fait des explosions fonctionnelles des possibles qui se sont opérées au cours des soixante dernières années grâce à l’augmentation des capacités des ordinateurs, ces outils courent le risque d’être inintelligibles pour l’utilisateur final. L’objectif est d’arriver à fournir une interface claire, manipulable, compréhensible qui puisse tirer parti de toute cette richesse fonctionnelle. L’heure n’est plus seulement à trouver des algorithmes de synthèse encore plus puissants (désormais on peut faire ce que l’on veut sur le plan technique). Le vrai enjeu consiste plutôt à Comprendre quelles interfaces, quelles représentations, quels gestes, quels logiciels, quels matériels devons-nous concevoir pour interagir avec cette richesse fonctionnelle. Nous sommes loin d’avoir atteint cet objectif car nous travaillons avec des outils rigides, très contraignants et pas très bien conçus. Peu de designers et d’ergonomes travaillent sur ce genre d’outils. Tout reste donc à faire.
« L’outil ne doit pas déposséder l’humain de son intelligence »
CADI : L’enjeu serait donc de créer des interfaces qui facilitent l’utilisation ?
T.B. : Avant même de faciliter l’utilisation, il faudrait concevoir une interface qui puisse permettre à l’utilisateur de comprendre ce qu’il a sous la main. Sur un synthétiseur, une liste de boutons s’offre à vous, chacun correspondant à une fonctionnalité. Vous comprenez donc aisément le mécanisme. En revanche, sur un ordinateur, les menus extrêmement ramifiés, très complexes s’appréhendent très difficilement d’un point de vue sensible, sensoriel. Avant même de guider l’utilisateur, il convient donc de l’amener à une « prise de conscience sensorielle » de l’outil qu’il manipule.
CADI : Dans ce contexte, quel rôle les designers jouent-ils ou pourraient-ils jouer ?
T.B. : Actuellement, ils ne jouent qu’un rôle très limité dans ce secteur d’activité : c’est une industrie qui n’en est pas vraiment une et qui représente très peu de parts de marché. Elle se constitue d’initiatives bricolées au fond de garages par de petites entreprises qui n’ont que quelques employés, ou de projets de recherche. Je crois qu’il n’y a aucun travail d’ergonomie ni même, bien en amont de l’ergonomie, de design qui soit appliqué à ce type d’outils. Il y a donc un vrai champ à explorer. Je nourris l’espoir qu’un jour, il se produise une rencontre entre les domaines de l’informatique, de la musique et du design dans le but de créer des outils plus accessibles pour les néophytes comme les compositeurs chevronnés.
CADI : Il ne faudrait pas non plus tomber dans la vulgarisation à outrance.
T.B. : Pour cela, il faut faire du design d’interface intelligent qui puisse donner les moyens aux gens de comprendre comment fonctionnent les outils qu’ils ont entre les mains sans leur en proposer une version vulgarisée. La vulgarisation serait la métaphore de type Reason qui consiste à tout ramener à des objets du monde réel pour éviter de déstabiliser l’utilisateur et de le mettre en danger.
CADI : Le terme « interface intelligente » mérite que l’on s’y attarde. Comment définiriez-vous une interface intelligente ?
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