De l’importance du jeu vidéo en sciences humaines et sociales – Entretien avec Sébastien Genvo, expert en « game design »

Le jeu vidéo est un prisme qui permet d’interroger différentes logiques médiatiques contemporaines. Il permet d’aborder les enjeux sociaux d’Internet, les défis du statut d’auteur et de créateur dans les médias interactifs, la définition d’une œuvre… C’est aussi un média de simulation qui permet de soulever beaucoup de questions susceptibles d’éclairer les nouveaux médias. Pour toutes ces raisons, les jeux vidéo sont un bon objet de recherche , et je milite pour que l’on prenne conscience de leur importance dans le champ des sciences humaines et sociales, où ils ont longtemps été ignorés, voire stigmatisés. Si certains jeux vidéos sont porteurs d’idéologies très fortes, ceci à vient de leur histoire étroitement liée à l’industrie militaire. La stigmatisation, compréhensible à cet égard, doit être dépassée pour aborder le jeu vidéo comme moyen d’expression et objet de questionnement.

« Logique de mise à profit de la création de l’utilisateur »

Thierry Lehmann : Pouvez-vous nous parler de la notion de « consommation comme création »? Sur Internet, les joueurs participent à une forme de production de culture, ou en tout cas, de contenu. S’agit-il uniquement de customisation par le joueur, ou est-ce que ces interventions ont des conséquences plus profondes ? Est-ce qu’elles augurent l’avènement de la co-participation ou de nouvelles formes d’affirmation de soi ? Ces tendances peuvent-elles remodeler notre façon de vivre et influer sur les enjeux sociaux réels?

Sébastien Genvo : Le jeu implique une sorte d’affirmation de soi, de créativité. Certains théoriciens psychanalytiques comme Winnicott explorent cet axe de réflexion. Par essence, le joueur cherche à affirmer son identité et à faire jaillir quelque chose de neuf. Depuis la naissance de ce marché, les producteurs essayent d’avoir un retour d’usage pour améliorer leur jeu, soit par des versions successives (cf. les jeux conçus de façon sérielle comme Mario Bros, Zelda, Doom), soit par une logique dynamique. Cette dernière est appliquée dans World of Warcraft par le biais de nombreux patches qui modifient le jeu et font qu’il n’est plus tout à fait le même qu’à sa sortie. Les concepteurs gardent toujours un œil sur les pratiques des utilisateurs : ils observent les règles inventées par ces derniers et ajoutent et les intègrent au jeu si elles marchent bien. Il y a une logique de boucle rétroactive entre producteur et consommateur.

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