Dans le cadre de son projet de fin d’études en Innovation responsable, Thomas Buisson, alors étudiant en 5e année, a décidé de mettre son savoir-faire de jeune designer à profit pour améliorer les conditions de travail et d’intervention des sapeurs pompiers. De cette initiative est née une belle rencontre entre le jeune designer et le capitaine Jean-Baptiste Floch, chef du centre d’incendie et de secours de Carquefou, dans l’agglomération de Nantes. Benjamin Walker, responsable du groupe de recherche Innovation responsable, interroge ici l’officier de sapeurs pompiers à propos de sa collaboration avec Thomas Buisson et de son rapport au design.
Tuteur : un rôle de facilitateur
BEN WALKER :
Quel a été votre sentiment lorsque Thomas Buisson, étudiant en 5e année à L’École de design, vous a contacté ?
CAPITAINE FLOCH :
C’était la deuxième fois que nous étions contactés par des étudiants de L’École de design. Nous avions déjà reçu un groupe de votre établissement il y a 3/4 ans pour un travail plus ponctuel au sein de la caserne. Ils avaient choisi d’axer leur projet sur un objet : notre bip. Nous les avions accueillis au centre de secours et la collaboration avait été positive. quand Thomas Buisson s’est présenté à son tour en avril 2008 avec un projet plus conséquent, sur du long terme, j’ai accepté de lui ouvrir les portes de la caserne et des sapeurs-pompiers du département en jouant un rôle de facilitateur.
BEN WALKER :
Ça ne vous a pas paru étrange d’avoir un designer parmi vous ?
CAPITAINE FLOCH :
C’est vrai que ce n’est pas courant. D’ailleurs, quand j’ai transmis la convention de stage à mes supérieurs, le directeur adjoint m’a interpellé afin d’identifier le rapport entre le milieu sapeurs-pompiers et L’École de design. J’ai dû lui expliquer la volonté de Thomas ainsi que les orientations de son étude visant à faire évoluer notre matériel à travers nous nous sommes mis d’accord sur la notion de tutorat sans impact budgétaire ni contraintes pour le centre de secours.
BEN WALKER :
Il a fallu lui expliquer qu’un designer pouvait apporter quelque chose sur l’évolution de votre équipement et pas juste faire de la décoration ?
CAPITAINE FLOCH :
Oui, oui tout à fait.
BEN WALKER :
Donc vous, vous étiez déjà sensibilisé à cet aspect du design ?
CAPITAINE FLOCH :
En fait, je savais que cette école existait puisqu’elle est sur notre secteur d’intervention. Nous avions déjà eu un ou deux échanges donc j’avais une approche un peu différente du design, je savais qu’il y avait un vrai travail de fond derrière l’idée de l’étudiant, au-delà de la dimension esthétique.
BEN WALKER :
Ça me rassure parce que vous êtes plutôt rares ici !
Thomas a mis du temps à trouver une piste qui lui semblait valable. Il a même effectué un stage pour mûrir ses réflexions. Comment s’est articulé le travail avec lui ? …
Implication et audace, les moteurs d’une belle collaboration
CAPITAINE FLOCH :
Quand Thomas est arrivé, il savait qu’il voulait travailler avec les pompiers mais sans proposition précise. Cela m’a inquiété car je ne voulais surtout pas avoir un stagiaire représentant une charge de travail supplémentaire sur plusieurs mois Je lui ai fixé les règles, estimant qu’un étudiant en fin de cycle devait mener un gros travail personnel mais que je lui apporterai mon éclairage sur ses idées. Je lui ai fait savoir que je voyais des améliorations possibles dans notre profession mais que c’était à lui d’identifier sur quel thème il souhaitait centrer son projet. Thomas m’a alors expliqué qu’il y avait au préalable une phase d’observation. Je lui ai donc proposé de faire le point avec lui à l’issue de cette première étape. J’étais alors décidé à lui faire découvrir l’environnement des pompiers, avec mes collègues, dans les différentes casernes de l’agglomération nantaise. Thomas s’est bien investi lors de la phase d’observation. Il s’est montré très demandeur, très disponible car suivre un pompier implique d’être présent également en soirée les samedi, et les dimanche, il nous a accompagné lors d’exercices sur des sites extérieurs afin de mieux comprendre nos techniques. Par ailleurs, il est allé à titre personnel à St Étienne, au congrès national annuel des sapeurs-pompiers, où les fabricants peuvent présenter et vendre leurs produits et innovations. L’occasion pour lui d’avoir une vue globale de la profession, d’échanger avec des acteurs intéressants et il a saisi la perche, ce qui est tout à son mérite. J’ai alors été rassuré quant à sa motivation et sa détermination, ce qui nous a vraiment donné envie de l’aider. Dès lors, nous lui avons laissé libre accès à la caserne où il a pu prendre part à des manœuvres mais aussi mener des séances de travail avec les équipes de garde. Dans la mesure où Thomas jouait le jeu, je l’ai épaulé.
BEN WALKER :
Est-ce que ça s’est révélé utile pour l’équipe ?
CAPITAINE FLOCH :
Oui, je pense que mes collègues ont bien apprécié qu’on s’intéresse à eux et à leur travail. Thomas a su mener les séances de travail et de découverte de manière à créer un réel échange entre eux. Nous avons découvert beaucoup de choses et bousculé nos habitudes. Nous avons la chance d’être basés sur un site qui renferme à la fois le centre de secours et les bâtiments de la logistique départementale. Une incroyable plus-value pour Thomas, qui a vite choisi de concentrer ses recherches sur l’aspect matériel. Ainsi, je l’ai orienté vers nos collègues de la logistique qui gèrent à la fois les achats, l’entretien, la réparation du matériel, etc., et notamment vers Mathieu Lemoing qui travaille au service achat tout en étant sapeur pompier volontaire à la caserne. Thomas a eu pour ainsi dire deux tuteurs après la première phase, lors de laquelle il a décliné deux propositions d’axes de travail. Nous l’avons conseillé et, une fois ses choix arrêtés, le matériel bien ciblé, je dois avouer que c’est mon collègue Mathieu Lemoing qui l’a aiguillé pour la partie technique du projet.
BEN WALKER :
Avez-vous été un peu surpris de la manière qu’il a eu de trouver ses propositions ? Ou est-ce qu’au contraire sa façon d’agir vous a paru logique ?
Assimilation rapide de son environnement par le designer
CAPITAINE FLOCH :
En très peu de temps; Thomas a eu la capacité de s’adapter à notre milieu professionnel et de comprendre notre mode de fonctionnement. Mes collègues et moi-même avons pu prendre connaissance de ses travaux consultables en ligne, et sincèrement nous avons été impressionnés par la rapidité avec laquelle il a assimilé nos techniques, compris notre environnement et notre façon de travailler. Il a fait preuve d’une assimilation très surprenante pour un novice : il faut savoir que d’ordinaire, nous formons un pompier en un an. Thomas, lui, a a compris beaucoup de choses en quelque mois seulement. Cela explique qu’il nous ait fait des propositions concrètes et recevables basées sur ses propres recherches.
BEN WALKER :
Qu’avez-vous pensé de la proposition finale, le projet Fire Line ?
CAPITAINE FLOCH :
Entre ses deux orientations initiales, Thomas a opté pour : la « ligne guide », un bon choix qui lui a permis de proposer des innovations crédibles et applicables en concertation avec les utilisateurs.
Force est de reconnaitre qu’il y avait un besoin en la matière car nos contacts lui ont permis de rencontrer un industriel particulièrement intéressé par la démarche de Thomas. Et ce, au dessus de nos espérances puisque cela se concrétisa par un stage en entreprise à la demande du fabricant. Nous espérons vraiment que cela aboutira à un produit favorisant la sécurité de nos personnels.
BEN WALKER :
Thomas a suivi un double cursus en partenariat avec l’IAE (Master management des entreprises couplé avec le diplôme de design bac + 5). Est-ce que vous avez perçu dans son projet le fait qu’il avait suivi une formation en business et management ?
CAPITAINE FLOCH :
Ce savoir-faire en management lui a peut-être été utile lors des fameuses séances de travail, pour le contact et le relationnel qu’il a su créer avec l’équipe. Il revenait régulièrement prendre contact, puiser des informations car il a su créer un lien grâce à ses qualités personnelles.
Une démarche cohérente de A à Z
BEN WALKER :
Il a poussé son projet jusqu’au stade d’une mise sur le marché, peut-être pas tout de suite mais on peut l’imaginer, parce qu’il a réalisé un prototype fonctionnel…
CAPITAINE FLOCH :
Oui oui, tout à fait. Sincèrement, entre notre première rencontre avec un projet non défini et le résultat, je trouve la progression étonnante pour une personne extérieure à notre milieu. Sa démarche est restée cohérente jusqu’au bout : découverte, propositions, ciblage d’un produit en particulier et ce jusqu’à la réalisation d’un prototype qui, je l’espère, trouvera sa finalisation dans un produit qui facilitera le travail des sapeurs pompiers.
BEN WALKER :
Avez-vous ressenti chez Thomas, peut-être, un contact initial un peu timide ? Avez-vous eu l’impression qu’il ne savait pas vraiment où il allait, et que son rôle de designer est devenu plus clair au fil du temps passé avec vous et votre équipe ? Ou est-ce que sa motivation était à fond dès le départ ?
CAPITAINE FLOCH :
Je suis certain que sa motivation a toujours été réelle, sans doute, existante dès le début mais…
BEN WALKER :
Je vous pose cette question parce que, sur le plan pédagogique, nous avons trouvé son projet superbe mais nous lui avons suggéré de passer un peu de temps sur le terrain (qu’il fasse un stage ou qu’il devienne pompier volontaire), c’était peut-être de la timidité, comme c’est souvent le cas, mais au début il avait quelques réticences à le faire alors qu’ensuite, une fois qu’il a franchi le pas, il s’est éclaté, il a vraiment apprécié le contact avec vous et avec votre équipe et ça se voyait dans son projet. Il s’est investi davantage.
CAPITAINE FLOCH :
Oui, c’est vrai qu’au début il n’a pas été persuasif. Comme il ne présentait pas quelque chose de concret, j’aurais pu refuser. Mais j’ai eu envie d’essayer, c’était quelque chose de nouveau. Alors on a tenté l’expérience et il a su saisir sa chance.
CAPITAINE FLOCH :
Au final, je ne regrette pas de l’avoir accueilli. Ce qu’il a réalisé pour nous méritait qu’on l’accompagne parce qu’il a eu une démarche cohérente jusqu’à la fin.
BEN WALKER :
Il a ensuite réalisé un prototype de Fire Line. Peut-être un jour, verrons-nous son prototype ici au SDIS 44 ?
CAPITAINE FLOCH :
On n’en est pas là. Effectivement, un prototype a été réalisé mais nous ne l’avons pas à disposition. Thomas nous a montré régulièrement son évolution et je lui souhaite d’aboutir dans le cadre de ses contacts avec l’industriel ; et c’est en bonne voie puisqu’il travaille désormais avec la société COURANT. Nous attendons les résultats de son étude, car il est important que les personnes qui ont consacré du temps au projet Fire Line matérialisent le fruit de leur travail et puissent s’approprier une partie de l’expérience. Une présentation et une mise à disposition du prototype à la caserne en seraient l’illustration.
Fire Line par Jocelyne Le Boeuf, Directrice des études
Équipement pour guider les pompiers lors d’un incendie en milieu clos
Projet de fin d’études de Thomas Buisson
« Je n’envisage dorénavant plus de travailler sur un sujet sans m’immerger totalement dans celui-ci »
Dans son travail d’investigation préalable à la mise en œuvre de son projet de fin d’études, Thomas Buisson explique pourquoi il est important pour le designer d’être sur le terrain, de s’immerger auprès d différents acteurs. Il a ainsi effectué un stage d’observation pendant plus d’un mois à la caserne de Carquefou, sous la tutelle du chef de centre, le capitaine Jean-Baptiste Floch, et a participé à diverses activités d’entraînement. Son observation des différentes méthodes de travail des opérateurs du CTA-CODIS 44 (Centre de Traitement de l’Alerte – Centre Opérationnel Départemental d’Incendie et de Secours) a été complétée par une étude comparative des différents matériels des casernes de la région. Il a pu se familiariser avec un panorama très complet des différents fournisseurs lors d’une journée au Congrès national des sapeurs-pompiers en 2009 à Saint-Étienne.
Mais sans doute est-ce avant tout le contact humain, en situation, qui a permis à Thomas Buisson de comprendre comment intervenir en tant que designer. Il a même expérimenté des séances de créativité avec les sapeurs-pompiers qui ont suscité des pistes plus ou moins réalistes telles que « voir à travers les murs », « prédire les accidents », « avoir plusieurs bras », « respirer dans la fumée sans appareil respiratoire »…
Un système simple et robuste, visible dans le noir…
Parmi les différents domaines d’action des sapeurs-pompiers, c’est finalement sur l’incendie que Thomas Buisson a décidé d’orienter sa recherche. Celui-ci représente 9 % des interventions, mais ouvre « un champ d’action important pour un designer ». Le jeune designer a pu observer en particulier un certain nombre de problèmes soulevés par l’utilisation de la « ligne guide », système qui permet à un binôme engagé sur le terrain de l’incendie de retrouver son chemin : matériel lourd, d’un maniement pas toujours facile et qui rend quelquefois compliqué le croisement entre binômes engagés. Le contact radio, indispensable pour communiquer dans un contexte aussi dangereux, peut aussi être perturbé par tous les bruits environnants.
Le projet qu’il a développé, « Fire Line », se présente sous forme d’un sac contenant une « ligne guide » légère (2 kg au lieu des 15 kg habituels) et lumineuse. Il se place en bandoulière, à portée de main, ce qui rend aisé le contrôle du débit de sortie. Le sac est muni d’un système de communication par signaux lumineux transmis par ondes hertziennes et code couleur facilitant l’interprétation des informations. Le travail a aussi porté sur le choix des matériaux : fibres protégeant de la chaleur (Kermel) pour le sac, cuivre, aramide et silicone pour la corde, polycarbonate translucide pour les olives marquant la corde tous les 10 mètres et permettant de visualiser la distance parcourue.
« Fire Line » pourrait trouver d’autres champs d’application dans des domaines tels que la spéléologie ou la plongée sous-marine.
Partenariats et réseaux pour préparer l’avenir
La préparation d’un master « Management des entreprises » (double diplôme établi sur la base d’un partenariat entre L’École de design Nantes Atlantique et l’Institut d’Economie et de Management de l’Université de Nantes) a permis à Thomas Buisson de donner une dimension économique réelle à son projet et lui a facilité les contacts avec des équipementiers. Le jeune designer a su également constituer tout au long de son projet un solide réseau professionnel. Cela lui a donné l’opportunité d’un partenariat avec l’entreprise Courant (entreprise innovante dans le domaine de ces matériels spécifiques) qui a débouché sur un dépôt de brevet et la réalisation d’un prototype.
Retrouvez Jocelyne Le Boeuf sur son blog Design et histoire(s)
Qui est Jean-Baptiste FLOCH ?
Le capitaine Jean-Baptiste FLOCH est officier de sapeurs-pompiers depuis 1991. Avant de travailler en Loire-Atlantique, il a exercé à Toulouse de 1991 à 2001. En 2003, il a été nommé chef du centre d’incendie et de secours de Carquefou, dans l’agglomération de Nantes. La caserne de Carquefou comprend 3 officiers, 30 sapeurs pompiers professionnels et 60 sapeurs pompiers volontaires. Elle couvre Carquefou et les communes avoisinantes, soit environ 60 000 habitants.
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